Elle, si brune et si blanche, recherchait lentement À mettre de la couleur sur sa toile patiemment. Elle peignait debout, la tête sur le côté, et la clarté Qui tombait rosée et tendre du lourd plafonnier Venait éclairer les silhouettes graciles et aériennes De sylphides aux yeux semblables à des trous noirs Les faisant ressembler à de mystérieuses souveraines.
Marie Laurencin, dessinait avec le secret espoir Que ce qu’elle inventait dans sa tête vienne vivre Dans ses longues femmes pareilles à des plantes. Quand écrasée de fatigue, elle était presque ivre, Elle s’endormait, en boule, sur le sofa amarante.
Elle rêvait encore de ces longilignes promeneuses Qui hantaient ses nuits blanches, de leur peau crayeuse Et elle appliquait juste un peu de mauve aux yeux Pour donner de la profondeur à leur regard creux.
CE SOIR ELLE IRAIT DANSER
Marie regardait par la fenêtre mourir ce jour d’hiver. Le ciel était brouillé et d’un noir écran de suie sale Les fumées, poussées par un violent vent de travers, Souillaient un peu plus de gris le dôme de la capitale.
Paris prenait son odeur âcre et humide et allumait Les taches rondes des becs de gaz qui scintillaient, Semblables à des étoiles figées, d’une pâle lumière, Qui, dans le lointain, devenaient qu’infime poussière.
Les quais, et leur double rang de perles lumineuses, Doublaient la Seine d’un ruban serpentin et moiré. Le fleuve, recouvert de fines strates brumeuses, Voyait sur ses eaux des bateaux fantômes passer.
Marie retourna à sa toile inachevée et éclaira la pièce, Prit ses pinceaux, ses pastels doux et cligna des yeux. L’on vit bientôt naître des couleurs pleines de tendresse Et des femmes fragiles aux lisses visages gracieux.
Marie Laurencin, était jeune belle et amoureuse Ce soir tard, elle irait danser au Bateau-lavoir et rirait Avec les artistes, les poètes, et leur vie aventureuse, Leurs amours effrénées, leurs talents, la feraient rêver.
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