Dans ce long couloir étroit, inconnu, Aux molles et poisseuses parois humides, Nous nageons, affolés et éperdus, Compressés les uns contre les autres, Et confluons tous vers la planète vide, Cet astéroïde gélatineux et translucide, Qui, dans l’interminable canal, tout au bout, Flotte et tournoie tel un astronaute. La sphère disperse une lueur diaphane Et ses bords sont délicatement frangés. Elle ressemble à une méduse aux membranes Fines et ondoyantes comme voile de mariée. Nous propulsant vers ce ventre bientôt gravide Soudain, sans même comprendre c’est la curée. Et ce premier et ultime barbare génocide Finit dans une course mortelle et fratricide Où seul l’un d’entre nous sera « l’appelé » Nous sommes encore des lucioles déroutées Et nos vifs flagelles nous propulsent vers ce but : Pénétrer résolument dans ce magique nid velouté Et passer de la vie à la mort en une ultime culbute.
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Me voici jouant de mon corps comme d’un rempart Je donne des coups de queue et mon cri est silence Je vais vivre mon histoire et l’implacable départ Pour cette vie telle je l’ai voulue dans sa violence Chanceuse, je suis seule maintenant à pénétrer Dans cette caverne noire, accueillante et élastique Je prends possession de cet astral endroit cloîtré Et découvre, mon environnement aquatique Mais bientôt, je ne suis plus maîtresse de mon sort, Car des forces incroyables me fixent aux cloisons ; Je suis enclose comme l’est dans son œuf l’oison Et des filaments m’enserrent comme des renforts. Des odeurs marines m’entourent dans cet océan Où tout ce que je peux désirer m’est offert céans. Soudain de mon flagelle inutile c’est l’ablation Je ne puis plus rien tenter car suis sans réaction. Pendant que des plicatures dessinent mon corps. Obéissant à je ne sais quel ordre mystérieusement Se divise ma seule cellule donnant naissance encore À d’autres cellules programmées semblablement Et toutes ces cellules se dupliquent inexorablement Jusqu’à soixante quatre scellant le stade morula : Division ultime pour l’unité de vie qui deviendra Dans son intégrité un enfant noir jaune ou blanc
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Il ne me reste plus qu’un embryon de queue Dans le visage se dessinent deux yeux sombres Ma peau est gélatine et dans ce milieu aqueux Je me sens bien, ignorant ce que sont soleil et ombre Puis se forment les vertèbres de ma colonne vertébrale Et au fil des jours apparaissent membres et accessoires Telles branchies me permettant de vivre en milieu claustral Et aussi des rêves dont je ne garde hélas plus la mémoire. Lors d’une seconde divine je sens battre dans la poitrine Ce cœur venant d’entamer sa chevauchée vers mon sort Car naissant au jour choisi au sablier de l’heure utérine Mon existence ne connaîtra jamais l’heure de ma mort Et je suis là dans ce paradis esquissant des sourires Mes doigts formés trouvent l’abri de ma bouche Éprouvant le plaisir que j’aurai de sucer mon pouce
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Je suis extatiques rêves avant de savoir discourir. Dans mes mémoires, règne encore la prescience De ce que je vécus dans mes vies antérieures Et qui a imprimé mes devenirs et la conscience De ce qui fut me guidera vers mes faillibles ailleurs J’entends les pulsations du cœur de maman Et j’écoute ces voix à travers le tamis des eaux Rien ne m’est refusé ici, j’ai tout mon temps Mes yeux sont verts, noirs mes cheveux, blanche ma peau. Je prends peu à peu toute la place. Où sera mon espace Quand mon corps aura le désir de bouger à l’envi ? Je donne coups de pieds et coups de poings sans que ne se lasse Ma mère qui tendrement met ses mains sur son ventre... Là où je suis !
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