Le tournoi
La route, serpentant à travers les champs Tremblait sous le soleil brûlant de juillet. Des chevaux, naseaux de bave écumants, Soulevaient la poussière du pays d’Albret.
Le long cortège de carrosses brinquebalants Se terminait par des hommes vêtus d’armures. Il avançait vite car, avant le soir descendant, Nérac apparaîtrait bientôt derrière ses murs.
Charles IX venait visiter la cour de Navarre Où se préparaient déjà fêtes, jeux et ripailles Dont la jeunesse d’Henry IV n’était pas avare Quand dans le cœur des belles il livrait bataille.
Âgé de quinze ans à peine et déjà féru de bals Il excellait dans la galanterie et son adresse Dans les joutes et combats n’avait pas d’égal Ni près de ses adversaires, ni de ses maîtresses.
Charles qui aimait tirer à l’arc passionnément Proposa un duel, mais le duc de Guise lui-même, Qui excellait pourtant à ce viril divertissement, N’eut la maladresse de dépasser les extrêmes.
Il se contenta de se battre mais surtout de perdre, Laissant jouir d’orgueil le Roy, quand entra en lice Le jeune Henri, dont c’était enfin le tour de ceindre Le baudrier de cuir et l’arc souple, pour cet exercice.
Fièrement cambré, voilà le jeune archer qui s’avance Et du premier coup avec sa flèche en atteint la cible. Comme la loi du jeu le permet, il se prépare à retirer, Quand, Charles s’y oppose et le repousse, irascible.
Le jeune Henri, sang bouillant, s’indigne et recule Et spontanément bande son arc dirigeant la lame Contre la poitrine du roi qui prudemment capitule Et se réfugie derrière un courtisan évitant le drame.
Fou de rage il ordonna d’éloigner de sa personne Ce dangereux petit cousin trop belliqueux pour lui On fit tout de même la paix entre les deux hommes Mais le roy déclina la revanche prétextant un ennui.
Le lendemain reprirent de plus belle les combats Et le Duc de Guise toucha l’orange le premier. Celle-ci se fendit en deux et l’on n’en trouva pas Une autre pour pouvoir remplacer le but enlevé.
Le prince Henri avisa soudain sur le sein d’une belle Une rose épanouie. Tôt s’en saisit et courut vite placer Sur le piquet la fleur qui ornait l’écrin de fine dentelle Mais confus par ce geste le Duc de Guise fut déconcerté.
Le jeune Henri qui aussitôt lui succède, lance sa flèche Et atteint sans faillir le milieu corail du cœur de la fleur. Il s’en saisit et galamment la piqua dans une noire mèche De la damoiselle rougissante et belle comme un cœur.
Son regard pudiquement baissé n’empêcha pas Henry De deviner le trouble de la belle villageoise et lui sourit. Il sentit aussitôt les battements de son cœur s’emporter Lorsqu’il releva d’une main insistante le menton baissé.
De retour au château, le jeune prince intéressé apprend Que s’appelle Fleurette cette aimable et belle jouvencelle, Qu’elle est la fille du jardinier et habite le petit bâtiment Jouxtant les écuries du roy et qu’elle est encore demoiselle.
Les amours juvéniles
Sous sa main de feu, Juillet étouffe le vieux bourg de Nérac. La Baïse est d’une couleur limoneuse. Ses barges ventrues Ne font que remuer la boue en passant et le moindre ressac Dérange à peine les nichées de canards des berges herbues.
Henri, que la maladie d’amour tenaille, se prend de passion Pour le jardinage et il choisit un terrain de quelques toises, Afin de conquérir la jolie et naïve Florette et cette ambition Grandit, oublieuse de son rang et des médisances sournoises.
Il sait que toutes les villageoises vont puiser l’eau fraîche À la fontaine de la Garenne, portant plusieurs fois par jour Les cruches vernies sur la tête et il surveille de la brèche Leur venue joyeuse pour leur décocher de lestes calembours.
Avec l’aide du père de Florette il a balisé, par des treillages Son terrain et il y fait des plantations avec empressement Et a souvent l’occasion d’apercevoir, à travers les feuillages, La silhouette élancée et vive de la belle et convoitée enfant.
Celle-ci amène à son père des figues mûres de leur jardin, Une cruche de vin de Jurançon sachant qu’Henri en raffole, Des tranches épaisses de pain noir frottées d’ail et de thym Arrosées d’huile d’olive parfumée rendant la mie plus molle.
Peu à peu s’instaure entre les jeunes gens une complicité Et rapidement le luxurieux Henriot en conte à Fleurette. Masqués par les plantations qui leur servent de cachette, Bientôt l’amour brûle leur jeunesse absente de pudicité.
Le jeune homme que la fougue de l’adolescence taraude Enivre tant et tant de caresses excitantes la jouvencelle Qu’elle ne pensait qu’à ça la journée et partait en maraude De plus en plus tard pour retrouver Henry près de la margelle.
C’est à la fontaine de grenelle, qu’un soir contre le rocher, Elle lui accorda de froisser bien haut ses jupons de coutils Et de délacer son corset, pour couvrir d’incandescents baisers Ses deux frémissants seins blancs et chauds, à la sortie du nid.
Fleurette ce soir-là avait descendu presque en courant la rue Passant sur le vieux pont, au dos ventru, et avait alors suivi Le chemin de halage pavé inégalement jusqu’au bruyant ru Coulant frais et chantant entre des buissons touffus de buis.
Elle chantonnait une bluette qu’un artiste venant chaque été Apprenait sur la place d’armes à chanter à toute la populace. Chanson d’amour et de noblesse de sentiments si énamourés, Qu’elle croyait avoir été écrits pour elle les mots, si vivaces.
L’air était suave, de blondes mirabelles mûres jonchaient le sol Elle en ramassa, les lava dans l’eau vive et fraîche de la source Elle s’émut quand le chant mélodieux des trilles du rossignol S’éleva cristallin pour rejoindre au ciel nocturne la grande ourse.
La longue stridence d’un sifflet, qu’elle reconnaissait maintenant, Se fit entendre, loin dans son dos et elle aperçut, en se retournant, L’allure familière et troublante de celui qui, depuis deux jours, Lui faisait connaître charnellement l’enivrant plaisir d’amour.
Elle qui n’avait que quatorze ans, au corps encore si juvénile, Percevait des élans et des ardeurs qu’elle ne pouvait refréner Lorsque dans les bras de ce prince de quinze ans déjà si habile À la douce jouissance de l’amour, affolée, elle s’abandonnait.
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