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Poésie en prose
Tychillios : Les fleurs de plomb
 Publié le 01/08/18  -  14 commentaires  -  6864 caractères  -  105 lectures    Autres textes du même auteur

Poésie urbaine. Une balade nocturne sur les boulevards extérieurs.


Les fleurs de plomb



La clameur incessante de la ville cède lentement à un murmure plausible. La lutte quotidienne du jour et de la nuit s’achève à l’horizon. Une chape de cendres occulte le pâle éclat d’un soleil mourant. L’astre en partant laisse dans sa traîne des langues ternes de jaune sulfureux et des croûtes de lave attiédie. L’obscurité ronge lentement les nuées marbrées de glaise brunâtre et anthracite. La frénésie industrieuse des hommes ajourne sa quête productive et la nuit s’installe insoucieusement. Sereine et maléfique, elle transfigure les êtres et les rappelle à leurs instincts anciens. Mutique complice de l’interdit, elle réforme l’urbanisme sévère, en un lieu affranchi. Quand la mécanique implacable de la cité tourne au ralenti, on trouve, à son entour, un anneau où palpite un simulacre de vie. À l’écart des règles, dans l’indifférence et le mépris, un monde à part survit.

Boulevards extérieurs ! L’hygiène urbaine en convulsions centrifuges rejette sa crasse et sa misère. Des filles clandestines, dans leur maladive insomnie, trouvent ici un répit ; un carré de bitume délimite leur fuite immobile. Un décor sordide cerne le lieu qui les retient, les lignes verticales de sa pesante perspective dressent les barreaux d’une prison. Leur tâche est routinière, leur œuvre grossière, elles écoulent au rabais un ersatz d’amour sans saveur. Faussaires indifférentes, elles perpétuent l’éternelle imposture des sentiments.

La brume opalescente inonde le boulevard, lui donne des allures de fleuve trouble. Quelques taches de cambouis tombées d’un arc-en-ciel moribond égayent le pavé gras. Le flux engorgé du trafic a laissé place au passage de véhicules suspects. Ralentissant leur course, des requins de métal patrouillent à l’affût. Ils forment un cortège mécanique et grinçant, le revêtement humide répand le feulement frémissant de leur sillage. Dans la brouillasse hydraulique, des faisceaux halogènes traquent leur pitance nocturne. La pâleur mercuriale de quelques étoiles urbaines dévoile des éventualités ; au-dessus des réverbères, noyé dans les vapeurs crasseuses, le regard borgne de la lune contemple la scène.

Avançant prudemment, on détaille l’endroit. L’encoignure obscure d’une façade décrépite exhale impunément des effluences alcalines. Rongé par une lèpre minérale, le soubassement du mur qui lèche le trottoir enfle et se délite. Sur le sol, une limace de latex rosâtre, saisie dans sa reptation, vomit sa bave séminale. Au bas du tableau, la tache terne d’un crachat paraphe l’étrange nature morte. À quelques pas, les brisures tranchantes d’une flasque d’alcool gravitent autour d’une seringue usagée. La forme tubulaire d’un diptère incolore apparaît. L’abdomen translucide du long insecte venimeux pointe son dard de métal ensanglanté. Terrassée par sa morsure dans un dernier combat, l’éphémère créature repose dans un linceul d’éclats de verre. Elle gît là jusque ses proches funérailles, une balayeuse passera pour la cérémonie.
Près d’une bordure de granit sale, la gueule béante d’un conteneur grisâtre souffle une haleine écœurante ; la bête a vomi quelques ordures à ses pieds. Deux rats poisseux délaissant leurs infectes ripailles rejoignent furtivement l’égout qui leur sert de refuge.

Une forme fugitive apparaît, l’approche lente éveille peu à peu des sentiments confus. D’exubérantes arabesques révèlent la rudesse d’un corps de Vénus archaïque. Deux yeux exophtalmiques surgissent d’une face bistre aux traits démesurés, les cils trop longs qui les surplombent clignotent lourdement. Plaquée dans une pommade épaisse, la courte crinière de sa coiffure ébauche un casque lustré. Le rouge criard du vernis appliqué sur ses lèvres charnues souligne la composition frustre de son visage. Des mamelles outrancières écrasent sa taille qui se répand en volutes adipeuses, jusque sur des hanches démesurées. Deux cuisses massives supportent l’étrange assemblage, les relents musqués qui enveloppent le corps ajoutent au vertige. La statue totémique se dresse sur le sol mouillé. Le miroir d’asphalte où se trouble son reflet révèle une image hiératique, l’ensemble irradie une énergie brutale.

Plus loin se profile une ombre aux dimensions discrètes. La chétive beauté d’un visage au teint calcique se dilue dans la grisaille. Elle évoque une déesse balkanique déchue tombée sur terre de la cime de l’Arbre du monde. Sa tête dodeline lentement d’un branlement si ample, que son menton caresse ses épaules. Le corps n’est plus qu’un chancelant métronome qui tient debout par habitude ; une langueur maladive émane de ses oscillations. Le mouvement soudain se fige lorsque son regard abattu repère un éventuel contributeur. L’esprit embué de vapeurs narcotiques, son sourire morbide traduit un soulagement temporaire. Il restera sur son visage, paralysé jusqu’aux prochaines douleurs.

La revue de cette galerie incommode dévoile maintenant une silhouette menue d’odalisque mandchoue. Les courbes de son corps empruntent les lignes voluptueuses d’une jonque chinoise. La moire et le jais composent dans sa chevelure une chatoyante harmonie. Une coiffure minimale encadre la pâleur gracieuse d’un portrait de faïence. L’exotique beauté délaye les scrupules, amende les transgressions, son précieux raffinement inspire les plaisirs des amours orientales. Un œil noir vigilant fiché dans la fente aiguë de son globe délicat scrute sa prochaine proie.

Ces sœurs d’infortune se vendent sans réticence, leur dignité assommée par quelque psychotrope. Antalgiques vénéneux, stimulants mortifères, meurtrissent leur conscience ; elles perdent chaque jour de leur humanité.
Perpétuelles déchues, elles célèbrent à l’unisson l’universelle défaite. Les femmes du butin des vieilles victoires, les victimes forcées d’ineptes dévotions ; elles entretiennent l’antique tradition.
Esclaves lascives de prêtres-proxénètes, anciennes hiérodules soumises aux dieux cupides ; elles sont intemporelles.
Filles superflues que la misère brocante, martyres sous le joug de féroces maquereaux ; elles sont la chair qui nourrit les bordels. Elles offrent leur douleur éternelle, au frisson pitoyable des plaisirs appointés, elles sont le réconfort factice des grégaires solitudes.

Des Babylones anciennes aux modernes cités, leur sacrifice a traversé les âges. Leur lente servitude distille obstinément, depuis l’éternité, la potion frelatée du bonheur légitime.
Captives résignées des boulevards noctambules, celles-ci sont familières, mais proches ou lointaines, depuis l’aube du monde, elles ont toujours été. Comme des fleurs de plomb plantées dans le ruisseau, elles seront là toujours, figées dans leur attente jusqu’aux lueurs du jour.


Georges Ioannitis


 
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   Anonyme   
1/8/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Il y avait des soldes sur les adjectifs?
Je plaisante, mais la profusion de ceux-ci alourdit considérablement ce texte, lui autant toute fluidité, tout rythme. Ce qui fait que j'ai peiné à aller jusqu'au bout, alors que j'aime vraiment la poésie en prose.
L'idée de cette promenade avec ces malheureuses est bonne. On découvre des choses peut-être inconnues, ou qui se dévoilent autrement. J'aime beaucoup l'image des "fleurs de plomb" aussi.
Mais il faut impérativement allégé tout ça. N'utiliser les adjectifs que pour souligner un trait, un détail, pour le caractériser.

EDIT: je crois que je n'avais pas saisi le sens général du texte. peut-être les adjectifs pléthoriques, plus surement un manque d'attention. Ce texte reste lourd, mais beaucoup plus rude et profond que ce que j'avais vu d'abord. Je modifie ma note et mon commentaire en conséquence et vous présente mes excuses.

   lucilius   
24/7/2018
 a aimé ce texte 
Un peu
Fleurs de plomb, ces filles d'infortune, pratiquant le plus vieux métier du monde, surtout la nuit, et qui tiennent, chacune à leur manière, en arpentant l'asphalte…
Problème : dans ce texte, la ballade nocturne sur les boulevards extérieurs, ne semble bien être guidée que par ce trafic de nuit.
Quelques expressions maladroites comme "on trouve à son entour" ; pourquoi ne pas dire "on y trouve alentour…"
Certains paragraphes, dont le premier notamment, dégueulent d'adjectifs : "la clameur incessante de la ville cède lentement à un murmure plausible. La lutte quotidienne…", ce qui enlève beaucoup de fluidité à la lecture de ce texte pourtant bien rédigé.

   Anonyme   
1/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

Votre prose est très attirante, mais intimidante aussi.
Rare de trouver plus de 5000 caractères du côté poésie et j'avoue que j'ai du mal à lire plus de 1000 à 2500 caractères sur le site, sur écran.

Le titre, j'aime beaucoup, vraiment.
La présentation :
Je suis un peu mal à l'aise avec elle ; le déterminant "les" m'ouvre la route oui, mais laquelle et où ?

La signature au bas du texte ? Curieuse, j'ai cherché sur internet, voir si ces nom et prénom étaient célèbres, je ne crois pas, ou j'aurais mal cherché.

Entrons dans cette urbaine poésie.
Ce texte, cette prose, entre la nouvelle poétique et la prose qui l’est tout autant laisse la lectrice que je suis sans voix, (sans voie ?)
Impressionnant, pas du tout impressionniste.
Ces boulevards appartiennent à chaque cité, même si de nos jours, de plus en plus ces boulevards sont repoussés jusqu’aux chemins creux des premières friches.
Le style est éblouissant aussi, vocabulaire riche, sans être trop savant.
Le progression de la prose est habile : un long travelling, plongées-contre plongées alternantes, plan d’ensemble pour aller jusqu’au plan rapproché.
Votre prose est très visuelle.
Pour conclure, « LES » boulevards sont bien « LES » ; ils existent partout, vous savez les mettre en pénombre/lumière de manière magistrale.
Merci et bravo !
Éclaircie

J’avais commencé ce commentaire en EL et votre texte a disparu de mon espace avant que je le poursuive. Je vous livre ici, ce qu’il aurait été en anonyme.

   papipoete   
1/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour Tychillios
Parlant de " professionnelles ", on évoquait le plus vieux métier du monde, que pratiquait la " Goulue " ou autre arpenteuse de trottoir, du côté de Pigalle aux dépens de riches messieurs .
Dans ces lignes, le poète nous parle de cette " activité ", que de miséreuses femmes exercent sur un bitume infecte, où chassent des " requins de métal à l'affut " .
NB un univers plus que nauséabond, que narre l'auteur avec des détails scabreux " sur le trottoir, une limace de latex rosâtre ... ", mais des lignes poignantes parlent de ces soeurs d'aujourd'hui, dont la lignée remonte à la nuit des temps, et se perpétuera tant que sur terre il y aura des " requins à 2 pattes ..."

   LenineBosquet   
1/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour, le décor, sordide, est posé. Une étrange nature morte avec ses tours de cités qui font comme des barreaux de prison (bien vu !), les crachats, les capotes sales, la seringue etc... On y est. Et c'est moche.
Au milieu de celui-ci évolue le portrait de trois prostituées, différentes et si semblables dans leur misère.
Une belle plume, un riche vocabulaire. L'emploi de trop nombreux adjectifs a déjà été signalé mais cela alourdit à mon avis fort justement le propos. On est écrasé, c'est fort.
Merci.

   emilia   
1/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Quel écrit magnifique ! L’œil caméra balaye l’espace et restitue au lecteur ce paysage urbain et son ambiance nocturne pour lesquels chaque adjectif apporte une nuance à l’éclairage d’ensemble en prenant le temps de les découvrir. Vous parvenez à rendre l’horreur et le sordide de la situation « poétiques » en mettant en lumière ce qui se joue habituellement « dans l’indifférence et le mépris » tout en dressant le décor impitoyable du milieu de la prostitution (simulacre de vie, ersatz d’amour, imposture des sentiments…) Trois portraits saisissants et réalistes s’imposent à notre vision, de la Vénus archaïque (sorte de statue totémique bien en chair) à la déesse balkanique et l’odalisque mandchoue aux sonorités exotiques, « trois sœurs d’infortune / perpétuelles déchues / victimes forcées… » perpétuant « l’antique tradition » d’un destin inexorable, ces « martyres que la misère brocante », des termes forts pour dénoncer la détresse de leur lourde servitude par cette métaphore qui les désigne et les fige dans la posture de ces « fleurs de plomb » en attente du client, observées par un poète peintre sculpteur et psychologue… ; bravo à vous et bonne continuation…

   Anonyme   
1/8/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Un travelling panaroma sur les boulevards extérieurs qui, la nuit venue, se métamorphosent.
L'atmosphère sordide est bien rendue, sans concessions.

Le dernier paragraphe a ma préférence.

   Mokhtar   
2/8/2018
 a aimé ce texte 
Passionnément
Je vois ici une glauque et sinistre peinture expressionniste d’un univers marginal, en limite, sur laquelle l’auteur crache avec sa palette qui ne dispose que des nuances de gris.

Car c’est bien d’une peinture qu’il s’agit. Point d’action : juste une observation imagée qui justifie l’emploi des adjectifs descriptifs.
Même le soleil universel se couche ici en de sulfureuses couleurs sordides.

Avec luxe de détails sordides, la description retient l’attention parce qu’elle dénote un sens de l’observation pointu. Immonde est le décor parce qu’immonde est le sort de ces fleurs de caniveau.

Inhérente à la société depuis le début de la civilisation humaine, la prostituée est mise à l’écart du monde de la respectabilité, du monde des diurnes. Comme le cafard, son destin n’est pas de voir le jour. Le soutien de la chimie sauve l’envie de vivre.

Le souteneur, avec son ombre de geôlier, est présent depuis que le monde est monde. L’exploitation de l’homme par l’homme voit là sa plus ancienne manifestation. Le maquereau est fustigé, mais le micheton est épargné. Sans doute parce que sa condition n’est qu’à peine plus enviable. Pas dans l’air du temps, çà.

La description des femmes constitue, pour moi, le sommet du texte. Trois archétypes sont croqués comme sous le trait vif d’un caricaturiste, avec une précision outrancière. L’image se forme dans l’imaginaire du lecteur avec une netteté flagrante. Du grand art.

Petits détails techniques :
J’aimerais bien que l’on m’explique le sens du « plausible » de la première phrase et de « pâleur mercuriale » un peu plus bas.
« jusque ses proches…» : Pourquoi pas « jusqu’à ses proches …» ?
J’aurais préféré « effluves » à « effluences ».
Enfin je ne comprends pas les gros problèmes de ponctuation de la première partie du texte. Il faudrait un «.» ou un «;» entre « grossière » et « elles écoulent », et aussi entre « éventualités » et « au-dessus des réverbères ». Il ne faudrait pas de virgule après « partant », « traine », « ici…un répit », « rabais »…
Cette ponctuation est incompréhensible compte tenu du niveau de l’écriture. J’ai trouvé sur le site « lire en ligne » une édition de ce texte avec une ponctuation parfaite. On peut donc supposer ici un souci technique, des difficultés transmission ???

Long ce texte ? Seuls les mauvais récits sont longs. Plus qu’un documentaire réaliste, c’est une traversée d’un univers rejeté. Comme au Caire, à Tiljala ou dans les favelas, la misère humaine s’accroche en périphérie. Elle sort de la ville comme elle sort de la dignité humaine.

Il y a longtemps que je n’avais pas été conquis par un si haut niveau d’écriture. Sensible artistiquement au pictural, je suis accroc de cette écriture poétique (sans l’ombre d’un doute) qui fait jaillir avec talent l’image par la magie du mot judicieux.

C’est gris, c’est pesant, c’est toxique…c’est du plomb.

Bien piteuse gloire posthume que celle de ces maréchaux.

   Pouet   
2/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bjr,

Un texte bien dense mais fort bien écrit.
Cette comparaison "prostituées/fleurs de plomb", très bien trouvée.
Je trouve là un bel hommage à ces filles oubliées, exploitées, perdues.

Rien à redire.

Le style aurait pu me paraitre un brin surchargé ou ampoulé voire emphatique par endroit mais je n'ai pourtant pas lâché une ligne.

Au plaisir.

   fried   
2/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'aime la description sans conscession de la ville, ce regard sur la prostitution et la drogue. "L'obscurité ronge lentement les nuées marbrées de glaise brunâtre et anthracite." La description des trois femmes tout en restant dans le ton est superbe également.
Bravo

   izabouille   
3/8/2018
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai trouvé ce texte assez lourd, il y a trop de mots qui font des phrases trop longues, ce qui le rend difficile à lire. A un moment, j'ai perdu un peu le fil. Cela dit, on visualise tout grâce aux nombreux détails. C'est un exercice de style intéressant.

   Queribus   
5/8/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Du grand art, une belle maitrise de la langue française, des paragraphes bien distincts, un vocabulaire soigné,ce qui rend aussi le texte élitiste et réservé aux vrais connaisseurs.

Pour le lecteur moyen, le texte semblera un peu long, avec des phrases à la limite de la préciosité et nécessitera certainement plusieurs lectures..

À titre personnel, j'ai beaucoup apprécié.

Bien à vous.

   Cyrill   
7/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
La prose, essentiellement descriptive, est belle.
Le vocabulaire est riche.
On suit le narrateur dans sa promenade avec des sentiments mêlés.
Je descelle par endroit un peu de tendresse (ou c'est juste moi ?) dans un tableau bien sombre, plombant, oserai-je.
Les deux derniers paragraphes consacrés à des remarques générales, quoique d'une égale écriture, ne m'ont pas convaincu.
J'aurais sans doute souhaité un regard plus léger quelquefois, mais j'ai lu avec beaucoup de plaisir.
Cyrill

   jfmoods   
9/8/2018
Les paragraphes 1 à 5 de ce poème en prose mettent en place un décor urbain nocturne particulièrement prégnant où suintent la claustration ("les barreaux d’une prison"), la saleté ("sa crasse et sa misère", "Quelques taches de cambouis", "le pavé gras", "noyé dans les vapeurs crasseuses", "la tache terne d’un crachat"), la maladie ("des langues ternes de jaune sulfureux et des croûtes de lave attiédie", "une façade décrépite", "vomit sa bave séminale", "Rongé par une lèpre minérale", "enfle et se délite") et la mort ("Une chape de cendres", "un arc-en-ciel moribond", "un linceul d’éclats de verre", "ses proches funérailles", "la cérémonie").

Les paragraphes 6 à 8 s'attardent sur des créatures du bitume, des prostituées qui vont et viennent en ce lieu sinistre. Trois ombres crépusculaires véhiculant, de la vigueur à la fragilité, trois pans de la fantasmatique masculine ("Vénus archaïque", "déesse balkanique", "odalisque mandchoue"). Trois femmes dressées pour appâter le client ("Le mouvement soudain se fige lorsque son regard abattu repère un éventuel contributeur.", "Un œil noir vigilant fiché dans la fente aiguë de son globe délicat scrute sa prochaine proie."), se prêtant à la lourde théâtralisation de leur corps, se livrant à un jeu tristement convenu, à une farce grotesque, à une grinçante parodie de séduction.

Les deux derniers paragraphes du texte posent un regard résigné sur la situation de ces femmes réduites à la soumission ("martyres sous le joug de féroces maquereaux") qui ne supportent leur condition dégradante que par l'absorption massive de médicaments ("psychotrope", "Antalgiques", "stimulants").

L'oxymore du titre ("Les fleurs de plomb") met en avant l'aspect caricatural des portraits de ces prostituées qui obéissent, depuis la nuit des temps (verbes : "perpétuent", "entretiennent"), aux injonctions de la masculinité.

Merci pour ce partage !


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