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Poésie en prose
wancyrs : Qu’est-ce qui a changé ?
 Publié le 14/10/24  -  10 commentaires  -  3536 caractères  -  75 lectures    Autres textes du même auteur

Mais qu’est-ce qui a changé depuis ce temps où les négriers accostaient nos terres vierges ?


Qu’est-ce qui a changé ?



La mer n’avale plus mes frères ; ce sont eux qui avalent la mer, sur des bateaux de fortune en partance pour la chimère. Je me suis toujours demandé comment, sans réussir à percer le mystère, on pouvait se défaire des chaînes d’acier pour enfiler les liens virtuels.

Mais qu’est-ce qui a changé depuis ce temps où les négriers accostaient nos terres vierges ?

La mer n’avale plus ces hommes pour qui la liberté n’avait d’égale que la mort certaine qu’ils se donnaient en se jetant en elle, les pieds et les mains entravés de chaînes, en ces « ploufs » macabres, autant de rots insanes d’un monstre repu qui n’avait pas demandé à être nourri. Non, la mer n’avale plus ces hommes en or, ce sont leurs fils qui avalent la mer pour offrir leur liberté aux crachats de dédain, quand ils ne trouvent pas le déshonneur à crever vomi par les flots.

Mais qu’est-ce qui a changé depuis ce temps où les négriers accostaient nos terres vierges ?

Les navires se bondent encore, mais ne portent plus la fierté nègre ; le bétail arrive encore, et supplie pour se faire enfiler le joug ; les femmes se vendent encore, mais non plus à corps défendant : le sexe, sacré, est massacré sur l’autel de la survie. L’amer n’avale plus mes sœurs, ce sont elles qui avalent l’amer, un sourire trompeur sur ces masques fripés qui n’ont plus rien de la beauté de nos déesses basanées.

Mais qu’est-ce qui a changé depuis ce temps où les négriers accostaient nos terres vierges ?

Je me souviens, hier, de nos chasses aux rats des champs. Nous mettions le feu à l’entrée de leurs tanières et n’avions plus qu’à attendre qu’ils les désertent pour les cueillir ; mes frères sont des rats en qui on a allumé des feux, quand sur leurs terres dévastées ils ont éprouvé la soif. Avaient-ils besoin de boire la mer pour se désaltérer de hontes ?

Mais qu’est-ce qui a changé depuis ce temps où les négriers accostaient nos terres vierges ?

L’esclavagiste a troqué sa canne tonnante contre une baguette d’illusionniste. Et pour un cirque, faut bien des clowns qui amusent la galerie, des ours qui dansent*, des bêtes de somme qui en somme fixent la carotte au bout du bâton tandis que le directeur du cirque s’en met plein les poches, satisfait :
Quand le bétail lui-même se vend à vil prix, que peuvent faire les défenseurs de la cause des cheptels ?

La mer n’avale plus mes frères, ce sont eux qui avalent la mer, une carotte au bout du bâton. Je n’ai pas encore réussi à percer ce mystère qui les pousse à se mettre des liens virtuels après s’être libérés de chaînes d’acier. Peut-être est-ce parce que jadis on savait notre terre oasis de félicité, tandis qu’aujourd’hui on la sait enfer de Dante… Jadis on savait les négriers mener à la mort, aujourd’hui on sait les néo-négriers mener à la mort. Mais entre mourir ici aujourd’hui, ou mourir là-bas demain, il y a cet espoir de survivre…

Ainsi donc, longtemps encore demeureront ces images macabres de néo-négriers bondés faisant la navette entre un enfer vers un enfer, sous le regard impuissant des esprits libres à qui on ne donne plus des raisons de se battre…

Mais qu’est-ce qui a changé depuis ce temps où les négriers accostaient nos terres vierges ?


___________________________________________________________
* Aimé Césaire : « … Car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse. »
Cahier d'un retour au pays natal


 
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   papipoete   
10/10/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
prose
à vous lire, je retiens " qu'est-ce qui a changé, pour ces noirs qui s'en vont mourir, avalés par la mer... fuyant la tyrannie de leur pays tellement amer ? "
une poésie à lire très attentivement, pour s'imprégner de cette douleur, que ce peuple n'en finit pas de subir.
NB après ce que les colonialistes leur firent subir, depuis la nuit des temps ( par exemple la ligne de chemin de fer " Gabon-océan " ) je n'arrive pas à songer, que ce peuple d'ébène puisse ( à travers ses descendants ) un jour pardonner au BLANC
très beau texte !
papipoète

   Donaldo75   
11/10/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
J'ai beaucoup aimé ce poème en prose. Déjà, le refrain en italique sous le forme d'une question introduite dès le titre amène une musicalité qui pourrait presque faire penser à un slam. Ensuite, la réflexion décliné dans les strophes reste poétique, n'empiète pas sur le champ philosophique mais pousse quand même à la réflexion. Enfin, le fond ou la thématique déployée sont d'actualité et il est important de se poser la question. Son exposition bénéficie de la forme et de trouvailles sémantiques (la mer, l'amer) qui enrichissent le propos, le rendant plus lyrique parfois. J'ai ressenti une forme de tristesse dans la tonalité, je ne saurais pas expliquer pourquoi.

C'est fort dans le message, dans la forme, dans la musicalité.

Bravo !

   Ornicar   
11/10/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J'ai bien aimé cette prose pour le fond et sa forme particulière qui priment ici la poésie, même si cette dernière n'est pas totalement absente. Le recours à des formules choc et bien senties donnent de l'impact à ce texte amer et désenchanté.

De ma lecture et de ce bon texte, je retiens surtout :
- la puissance de cette première image, que l'on retrouve à intervalles réguliers, épousant ce mouvement constant de flux et reflux d'une mer qui "emporte" autant qu'elle "rejette" : "La mer n'avale plus mes frères ; ce sont eux qui avalent la mer". Et un peu plus loin :"quand ils ne trouvent pas le déshonneur à crever vomi par les flots")
- cette question lancinante : "Mais qu'est-ce qui a changé ?" et qui contient en elle-même la triste réponse et me rappelle cet aphorisme "il faut que tout change pour que rien ne change".
- le parallèle fait entre notre époque moderne ("néo", quoi !) et celle de la "traite" : "chaînes d'aciers" et "liens virtuels" de nature économique.
- et puis pêle-mêle, pour l'aspect "poésie", ces formules dont certaines sont assez féroces : "pour offrir leur liberté aux crachats de dédain", " l'amer" des soeurs, "les défenseurs de la cause des cheptels", "les néo-négriers".

   Robot   
14/10/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Le texte tente de répondre à la question du titre.
"La mer n’avale plus mes frères ; ce sont eux qui avalent la mer,"

On sent une désillusion émerger dans le récit.
"la mer n’avale plus ces hommes en or, ce sont leurs fils qui avalent la mer pour offrir leur liberté aux crachats de dédain, quand ils ne trouvent pas le déshonneur à crever vomi par les flots."
On sent l'expression de regret d'une perte de dignité.

La dernière phrase exprime bien une situation.
"Ainsi donc, longtemps encore demeureront ces images macabres de néo-négriers bondés faisant la navette entre un enfer vers un enfer, sous le regard impuissant des esprits libres à qui on ne donne plus des raisons de se battre…"

Une écriture forte pour une démonstration sans concession.

   Cyrill   
14/10/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Je n’ai pas eu de mal à te reconnaître en EL, Wan.
Pour le plaidoyer passionné en forme de prêche, le leitmotiv de la question et la réponse souvent désespérante, pour l’éloquence du propos, j’ai senti la poésie du texte, sans pour autant qu’elle soit envahissante : le propos mérite d’appeler un chat un chat.
Le lecteur est invité, comme à la messe ( et j’en ai entendues d’insipides! ), à réfléchir sur la base des pistes proposées par l’auteur. Est-ce que ça m’agace ? Un peu, je suis un athée indécrottable. Quoiqu’il en soit, il y a prêche et prêche, et celui-ci ne manque pas de volonté persuasive. Et de grandeur et de beauté. Et surtout, je ne le ressens pas comme accablant cet appel au discernement.
Le ton est passionné, mordant à bien des égards.
Un bémol : j’ai regretté ce « La mer n’avale plus mes frères », équivoque, dans le sens où la mer avale encore bel et bien nos frères, ils se noient.
Bien à toi.

   Dameer   
14/10/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Hello WANCYRS,

"Mais qu’est-ce qui a changé depuis ce temps où les négriers accostaient nos terres vierges ?"

Les terres vierges étaient celles d’Amérique, et beaucoup de choses ont changé depuis ce temps : la taille des embarcations s’est réduite, les terres d’Europe ne sont pas vierges et les hommes à bord sont tous volontaires pour l’exil, contrairement à ceux du passé qui étaient capturés et vendus. Ils payent d’ailleurs chers pour leur passage, passant de main en main à travers des filières qui se constituent au fil des opportunités. Les dangers sont constants et changeants, au cours de ce périple : ils ne meurent plus à fond de cale, mais risquent le fouet ou mourir de faim et de soif à travers le Soudan et la Libye à l’Est, à travers le Sahara à l’Ouest. Puis tout simplement de disparaître en mer, car gagner les côtes d’Europe est une promesse non garantie. Ensuite… et bien c’est la loterie, les plus malchanceux errent de pays en pays dans le cercle vicieux de Dublin II. On les force à mentir, tricher, ruser, voler, perdre leur humanité. L’Europe par son enfermement, son racisme, son aveuglement coupable, fabrique des hommes violents, détraqués, parfois criminels ou terroristes.

Bon, je m’éloigne du texte mais merci d’avoir posé la question qui me touche de près.

   Cleamolettre   
14/10/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,

Merci pour ce texte fort en tous points, forme et fond, qui m'a laissée le coeur serré et l'envie de crier l'injustice au bord des lèvres.
J'ai trouvé bouleversant que cette profonde réflexion, ce questionnement rythmé qui donne les réponses en creux, soit écrit en prose poétique, donnant une universalité et une intemporalité (hélas) aux souffrances de certains peuples.

   Provencao   
14/10/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour wancyrs,

"Ainsi donc, longtemps encore demeureront ces images macabres de néo-négriers bondés faisant la navette entre un enfer vers un enfer, sous le regard impuissant des esprits libres à qui on ne donne plus des raisons de se battre…"

Ce passage lu plusieurs fois et la question déchirante, troublante qui me parvient à l'esprit:
Mais quels sont les abîmes qui pèsent et ceux qui ne pèsent pas, dans chaque situation particulière ? Voilà où l'on cesse de s'accorder...

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Ramana   
15/10/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
L'esclavage a toujours existé, sous bien des formes différentes, et jadis les romains, les arabes et les sub-Africains eux-mêmes y ont largement contribué. C'est une pratique de l'homme de toute couleur, race, ethnie... C'est une tendance bien ancrée, qu'elle soit avouée et revendiquée, ou niée la main sur le coeur. Peut-on se libérer de nos propres esclaves ? Nous consommons des biens qui sont produits par des quasi-esclaves d'autres peuples, et nous fermons les yeux. De manière certes moins cruelle, ne sommes nous pas nous-mêmes esclaves de nos emplois fussent-ils salariés, activités bien souvent peu épanouissantes et quelquefois mortifères ? Ceci pour enrichir quelques esclavagistes de haut vol.Même dans le couple, quelquefois l'un des deux est esclave de l'autre, et se soumet. Sous un autre angle, voyez le discours sur la servitude volontaire, de La Boétie. Eh oui, si certains n'y sont pour rien dans leur capture et préfèrent se jeter à la mer plutôt qu'être soumis, d'autres préfèrent une soumission "soft" dans laquelle ils se sentiront en sécurité. Et la couturière indienne doit bien faire vivre sa famille.
Mais en bref, y compris sous cet aspect obscur de l'esclavage, des ombres se terrent en chaque homme à des degrés divers, mais n'en sont jamais absentes.

   Eskisse   
15/10/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonsoir Wancyrs,

Un texte nécessaire pour les valeurs humanistes qui le sous-tendent.
Je trouve la toute fin frappante voire cinglante pour les privilégiés que nous sommes . Elle m'a frappée : "sous le regard impuissant des esprits libres à qui on ne donne plus des raisons de se battre…" . Elle questionne notre libre arbitre, nos choix politiques, nos idéaux.


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