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Poésie contemporaine
Wiscow : Une balance
 Publié le 23/01/13  -  6 commentaires  -  5117 caractères  -  49 lectures    Autres textes du même auteur

Des alexandrins, des dieux et d'autres trucs.


Une balance



- I -


LE POÈTE


Sur le premier plateau, immense, vide et sombre
Où ne résonnent pas les rires des enfants
Où ne retentit pas la flûte qui bat l'ombre ;
Sur cette grande place forgée, non pas d'argent

Ni d'or, ni d'une étoile de diamant, mais de bronze ;
Suffocante de glace dans l'implacable nuit
Que rythment sur le sol de lourds rideaux de pluie
Noire, figée, crasseuse, étouffée par la suie
Et que ne font cesser les prières du bonze

Ni le râle infernal du mendiant qui soupire ;
Polie comme un miroir où de cent mille feux
Brillent cent mille étoiles, pâles, qui expirent ;
Abandonnée de tous, abandonnée par Dieu
Aux esclaves de fer peuplant la ville, et pire,
Au poète isolé qui s'éteint peu à peu ;

Là, en ce lieu sinistre, où se livrent au crime,
À la débauche, au stupre, aux drogues et au vin,
Statues de cire froide aux regards de bovin,
Aux regards étranglés et perdus dans l'abîme,

Les vieux dieux de l'Olympe, déchus par trop d'orgueil ;
Là, dans ce froid désert de vie et de bonté,
Cette aire d'aigle nue au rapace envolé,
Un homme se tient, seul : il ouvre son cercueil

– Ah non, c'est sa valise – et déroule le fil
Élimé, décousu, rapiécé, composite
De sa vie misérable, le nouant à la bitte
D'amarrage du quai – car la place est une île ;

Flottant haut dans le ciel, suspendue aux nuages
Qui font jaillir sur elle la fureur de Neptune
Pour la faire tomber, en effacer l'image,
Elle a pour seul voisin, scintillant sous la lune

Le grand plateau d'argent, terre des bienheureux.
Il enroule sa corde autour du grand poteau
Et plus il la dévide, plus ce pays de gueux
Disparaît à sa vue, le laissant sans un mot.

Alors, tout vibre et tangue, tout se met à couler
Car le plateau de bronze n'est pas le plus léger,
Et retentissant fort dans le ciel infini
L'aiguille du peser n'indique plus midi ;

Ce carillon si discordant haut dans les nues
Sonne le glas, la messe aux morts de l'espérance ;
Seul sur le bronze, calme et stoïque, l'homme s'est tu.
Alors surgit, d'on ne sait où, dans le silence
Troublé pourtant par les sanglots de l'homme nu –

C'est la bête géante qui porte les damnés,
Ceux qui n'ont pu payer un fil de vie propice,
Vers l'antre dégoûtant où ils sont condamnés
– Pour une simple vie à rouler dans le vice –
À rester dans le feu, à subir le bûcher ;
Par lui ils sont portés vers un lieu de supplices,
Suspendus, tels des bœufs, à un croc de boucher,
Avec l'éternité pour unique complice –

Pour quoi est-il puni, ce parfait anonyme
Qui pleure de douleur, qui gémit de terreur ?
Il semble inoffensif : on commet une erreur !
Pour quel sale méfait, pour quel horrible crime

Doit-il souffrir ainsi dans le soufre les affres
De l'ennui moribond, la pire des tortures ?
C'est pour n'avoir pas su vivre dans l'imposture,
Écouter les avis d'imbéciles qui bâfrent.

IL VÉCUT, IL MOURUT SEUL, MAIS LIBRE D'ESPRIT.


- II -


LES BRAVES GENS


Sur le second plateau de l'horrible balance,
Point de brillant débris ni de dieux qui soupirent ;
Point de feux dans les yeux, point de faune qui danse
Mais des corps costumés qui, calmement, respirent.
Leurs visages de bois parfumés aux essences,

Faciès de mannequins, têtes rondes et lisses,
Expriment l'hypocrite bonheur d'être sauvé.
Foule, et cependant Un – un obèse gavé,
Une riche actionnaire à la peau qui se plisse,

Un marchand sans scrupules, un avocat véreux,
Une juge de guerre, une ministre à gages,
Et bien d'autres encore, puissants, au teint terreux,
Sont les chefs honorables de ces êtres si sages –,

Ils sont l'attroupement de ceux que la richesse
Dota d'une dorure visible sur leurs fronts ;
Costume de velours et manteau de vison,
Ils se pavanent à l'orée de la détresse,
Châtiant de leurs coups ou d'une pauvre pièce
Les mauvaises gens qui leur demandent pardon ;

Le nez dressé bien haut ils hument l'air fétide :
Et sans renifler vers leurs aisselles putrides
Engoncées, moites de sueur, et manquant d'air,
Disent : "Qu'est-ce qui sent ? – La misère, mon cher.".

Sur ce plateau d'argent aux jardins luxuriants,
Toujours le plus léger malgré la multitude
De ces hommes médiocres à l'âme en altitude,
Aucune Ève n'est tentée par le vil serpent.

Aucun Caïn, aucun délinquant face à Dieu,
Ayant enfreint Sa loi, n'est admis en ce lieu ;
Eux sont les criminels du genre le plus vieux,
Ceux qui furent rusés, surent ouvrir les yeux :

Par centaines, milliers, ils déferlent, avides.
SI LEUR ÂME EST LÉGÈRE, C'EST PARCE QU'ELLE EST VIDE.


 
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   Labrisse   
3/1/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Je trouve assez difficile ce genre de poèmes "expiatoires" que l'on trouve dans bien des sujets... Je ressens un trouble du positionnement ou le poète serait un être doté d'âme et le non poète serait lui un animal au sens religio-scientiste d'avant les lumières ! Pourquoi ce manichéisme ?

Il faut être très exact de ce que l'on dit et faire attention avec les concepts que l'on manipule... Les Nègres sous le coup des traités Napoléoniens et ceux du commerce triangulaire ont du attendre 1880 pour se voir attribuer (a peine) une âme d'homme... avant ils n'étaient que bétail, bien meuble...

Ce poème libre n'est pas d'une écriture gourmande mais d'une écriture martiale ou tout du moins sentencieuse, ceci étant, notre poète connait nombre des ressorts qui président au discours, sa syntaxe est claire et en ordre de marche de même l'histoire se déroule bien sémantiquement parlant... quelques longueurs à mon goût (je l'ai ressenti sur les défilements de propositions en début de second chapitre) mériteraient d'être revues, certaines disgressions (ex: regards étranglés) sont sybilines... alors que un regard d'étranglé ferait parfaitement l'affaire... non? Bref, si le poète connait son affaire en matière de mots, et celà est une bonne chose, je l'engagerai volontier à donner maintenant des tournures, des phrases, de la construction... Il ne faut pas avoir peur de faire des figures de style poétique, chiasme, reversements, anaphores... que ne sais-je ? faire attention aux concepts que l'on donne au lecteur et à la position que prends le discours, un conseil, pour se donner une position d'observateur, il faut positionner le lecteur de la même manière... le lecteur croit toujours très facilement qu'il a écrit le livre... surtout quand il est bon.

Amitiés

Labrisse.

   rosebud   
12/1/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
On ne peut pas reprocher le jugement un peu catégorique de l'auteur parce qu'il est décrété avec une telle verve qu'il emporte tout sur son passage. Si je n'avais que quatre vers à retenir, ce seraient les suivants:

"Un homme se tient, seul : il ouvre son cercueil
- ah non, c'est sa valise - et déroule le fil"

"Engoncées, moites de sueur, et manquant d'air,
Disent : "Qu'est-ce qui sent? - La misère, mon cher."

C'est drôle, c'est étincelant, bravo!

   Anonyme   
14/1/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Je trouve l'idée chouette (bien que vachement manichéenne) et l'ambiance bien posée. Toutefois, je regrette ce relâchement de la forme, je ne puis m'empêcher d'avoir l'impression que vous avez voulu écrire en alexandrins bien alignés, ce qui aurait eu de la gueule vu le sujet et son traitement ironique et coléreux à la fois, et puis que vous avez baissé les bras devant la difficulté... Y aurait pourtant pas tellement de boulons à resserrer, me semble-t-il, pour obtenir au moins une forme néo-classique où les vers couleraient bien.

Bon, cela dit je trouve que l'ensemble balance pas mal, malgré un début un peu confus à mon goût : j'ai eu du mal à saisir le décor et me suis laissée flotter dans l'ambiance sans trop piger. Pour moi, le tout s'est mis en place plus tard.

   brabant   
23/1/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Wiscow,


ça m'a fait penser aux maigres et aux gras de Jérôme Bosch ; c'est pas un petit compliment hein ! :)

Je me contenterai de souligner le travail accompli, considérable ; n'ayant pas moi-même le courage de ré-accomplir tout ce travail (lol) ; laissant l'auteur à ses thèses, louant ce qu'il loue, dénonçant et condamnant ce qu'il dénonce et condamne ; tout en sachant que le trait est caricatural (mais tentant et séduisant), que la décharge et la charge sont lourdes (mais tentantes et séduisantes), on a sorti l' (la grosse) artillerie quoi !... et re-tout en sachant que l'on peut trouver des travers dans la partie I et des qualités dans la partie II. Chaque cosme étant à mon avis un microcosme reproduisant des cosmes.

IL VECUT, IL MOURUT SEUL, MAIS LIBRE D'ESPRIT (ça m'a fait penser à Molière)
SI LEUR AME EST LEGERE, C'EST PARCE QU'ELLE EST VIDE (ça m'a fait penser à la pesée du coeur chez les Egyptiens anciens)
Je grave ces deux maximes, la première dans le sapin de la crémation comme il se doit (ben oui ! lol), la seconde dans le chêne de la damnation éternelle (bien fait pour eux !).
ça m'a des allures de danse macabre tout ça !

J'ai souri au "croc de boucher" - Forcément ! :) -
Si je n'avais que deux vers à retenir :
"Un homme se tient seul : il ouvre son cercueil

- Ah non, c'est sa valise -"
C'est du Cros, du Corbière, mieux... du Forneret !... etc... etc... Tous les as de la pensée et de la poésie anticonformiste quoi.

La partie II m'a renvoyé entre autres... aussi à Daumier.
Que des super cracks !

Bravo Monsieur Wiscow !

   croquejocrisse   
29/1/2013
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Je n’ai jamais vu autant de ponctuation, celle-ci à considérablement gêné ma lecture, on dirait presque par moment de la musique militaire tarata tsoin tsoin
Si l’auteur a voulu que l’on scande son texte c’est gagné (surtout dans la première partie, 2 , 3 & 4 èmes strophes), ici les mots ahanent sous le fouet des virgules, du coup j’en ai perdu le sens
Le texte quand à lui est long comme un défilé sous les balcons du kremlin et comme je n’ai pas une âme d’apparatchik en pardessus j’ai dû fuir cette lecture qui pourtant recèle un potentiel que je n’ai pu déterminer

cordialement

   kano   
13/3/2013
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour Wiscow,

Ce poème est très dur a commenter. En définitive, j'ai mis moyen, comme l'équilibre d'une balance peut être.
Sur la forme, j'ai vu des tournures, des métaphores tantôt habiles, profondes, belles, ou les trois a la fois. Je trouve le thème puissant et la séparation en deux partie très bien pensée, les deux conclusions en majuscules sont quand a elles magistrales.
Mais... C'est long. Ça commence très bien, et puis ça s'égare un peu, on ne sais plus trop ou l'on va mais même si on se doute d'où on va arriver.
C'est vraiment long et le texte s'éparpille un peu je trouve, se dilue au fur et a mesure. Pourtant l'écriture est je pense celle d'un auteur particulièrement talentueux. Dommage que certains vers, surtout dans la seconde partie, soient vraiment catégoriques et sans nuances.

Sur le fond: l'idée de départ est brillante et surtout tellement vraie. Le poète est et restera seul avec ses ailes de géant qui l'empêchent de marcher. Mais la forme dessert a plusieurs moments le projet pourtant prometteur.

On a l'impression d'un début en fanfare ou la beauté du texte nous emporte, puis l'impression d'un relâchement total qui fait perdre progressivement l'intérêt. Ce qui le sauve c'est l'idée derrière et la forme déployée.
En définitive c'est une impression favorable, une véritable admiration du style (surtout au début) et de l'écriture qui est superbe, mais des longueurs et des égarements qui, a mon sens, empêche la mécanique de fonctionner pleinement.


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